En avons-nous fini avec l’inflation ? Son reflux en Europe depuis plusieurs mois provient essentiellement de la baisse des prix de l’énergie. Cela va-t-il durer ? La guerre au Proche-Orient n’augure rien de bon, alors attendons. Dans le même temps, la Banque centrale européenne (BCE) a stoppé sa planche à billets, son bilan n’augmente plus. Même si beaucoup trop de liquidités ont été créées pendant le Covid et que cette masse monétaire peut se transformer en inflation, la nouvelle rigueur de la BCE va dans le bon sens. Pourra-t-elle tenir cette ligne face aux déficits publics persistants, notamment de la France et de l’Italie ? C’est une autre question. Bref, la modération des prix de l’énergie et la suspension de la planche à billets permettent de calmer l’inflation.

Cependant, l'inflation reste significative, nous ne sommes pas repassé sous les 2%. N’aurait-on pas oublié quelque chose ? En effet, un nouveau risque émerge, désigné sous le terme d'"inflation de second tour" : face à la progression des prix, les salariés parviennent à obtenir des hausses de salaires, celles-ci renchérissent les coûts des entreprises, qui ensuite les répercutent dans leurs prix, ce qui relance l’inflation et les hausses de salaires. C’est ce que l’on appelle aussi la "boucle prix-salaires".

Ce raisonnement n’est pas dénué d’une certaine cruauté puisqu'il faudrait que les salariés souffrent durement et voient leur pouvoir d’achat reculer pour que l’inflation soit vaincue. Ce serait le prix à payer. Il manque néanmoins une variable dans cette équation : la productivité du travail. Si elle progresse, l’entreprise peut augmenter les salaires tout en maintenant sa rentabilité, sans avoir besoin d’augmenter ses prix. Et c’est tout le problème : la productivité progresse aux États-Unis et au Canada, mais elle régresse en Europe (hormis la Suisse, le Danemark, la Suède). Ce découplage entre l’Amérique du Nord et le continent européen ne manque pas d’inquiéter, car ses conséquences s’étendent bien au-delà de l’inflation. C’est la compétitivité globale de l’économie qui est en jeu, et celle-ci détermine l’emploi et le pouvoir d’achat à long terme.

L'Allemagne connaît la plus forte baisse de productivité du travail en Europe, selon Natixis. Il s'agit comme par hasard d'un pays touché de plein fouet par la crise énergétique, lui qui avait tout parié sur le gaz russe bon marché. Les autres nations européennes souffrent d’une productivité en berne que l’on peut attribuer, outre le renchérissement de l’énergie, à des investissements insuffisants dans les nouvelles technologies et à une qualification insuffisante de la main d’œuvre (hormis justement la Suisse, le Danemark et la Suède, qui investissent plus et mieux dans la formation et qui sont accessoirement hors de la zone euro).

La stagnation de la productivité du travail constitue une nouvelle menace pour la zone euro qui va ainsi perdre en compétitivité par rapport à ses concurrents, ce qui signifie désindustrialisation, appauvrissement, incapacité à rattraper son retard dans les technologies de pointe. Dans ce cadre, une inflation persistante et un pouvoir d’achat en berne ne sont que des manifestations parmi d’autres d’un déclassement général. Ces derniers doivent être compris comme des alertes, pas comme des problèmes en soi qui pourraient se régler par des dépenses publiques supplémentaires. Mais c’est malheureusement le chemin que nous prenons, en France comme en Allemagne, ainsi qu'au niveau de la Commission européenne (toujours et encore des plans de relance ou des boucliers énergétiques).

Donc non, nous n’en avons pas fini avec l’inflation, et c’est même bien plus grave que cela.

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