Publié par Philippe Herlin | 14 août 2015 | Articles
La guerre entre les deux grandes puissances économiques mondiales - les Etats-Unis et la Chine - se déplace sur les terrain des monnaies. Pékin veut en effet que sa monnaie entre dans la composition des DTS (Droits de Tirages Spéciaux), l'unité de compte du FMI. Seules quatre devises (dollar, euro, livre et yen) en font actuellement partie. Au-delà du prestige d'une accession au panthéon des grandes devises internationales, une telle décision consacrerait le yuan (ou renminbi) parmi les principales monnaies de réserve et de transaction, elle renforcerait donc le rôle de la Chine dans le monde. Les autorités chinoises font valoir que le yuan est devenu la 5e monnaie la plus utilisée dans les paiements internationaux.
Le problème est que les Etats-Unis s'y opposent. Les pays européens y sont favorables, mais pas Washington. Il est vrai que la convertibilité du yuan reste étroitement contrôlée par Pékin, et les Etats-Unis lui reproche d'être sous-évaluée, ce qui conteste le FMI lui-même. Quoi qu'il en soit, les deux puissances de l'océan pacifique s'opposent clairement sur ce point, et la plus ancienne bloque l'émergence de la plus jeune.
Un autre point de blocage subsiste : "Améliorer l'accès au marché intérieur de la Chine est important, c'est-à-dire au marché obligataire, en particulier aux obligations du gouvernement chinois", explique le FMI. Eh oui, la Chine va devoir ouvrir son marché financier ! Voilà qui sera autrement plus difficile. Au moment où ses marchés boursiers chutent, ce qui rend les entreprises cotées bon marché, on imagine encore mal des OPA hostiles venant de multinationales américaines, européennes ou japonaises... Cependant cette ouverture va devoir se faire, Pékin ne l'ignore pas.
Mais à l'évidence on comprend bien que les Etats-Unis veulent freiner l'émergence du yuan comme monnaie internationale de référence, parce qu'elle pourrait faire de l'ombre au dollar. Ni le yen, ni l'euro n'y sont parvenus, mais il existe en Chine une "volonté de puissance" évidente, qui se traduit d'ailleurs dans d'autres domaines (budget militaire, revendications territoriales avec notamment les îles Spratleys, refus de toute remise en cause du parti unique). Voici un concurrent qui ne masque pas sa volonté hégémonique.
Le FMI ne prendra sa décision qu'au mois de novembre, d'ici là les négociations en coulisses vont s'intensifier, n'en doutons pas. Plus fondamentalement, ce débat illustre aussi l'arbitraire consistant à choisir telle ou telle monnaie pour constituer un "panier représentatif" à l'échelle internationale. Il n'y a pas si longtemps c'est l'or qui servait de référence et mettait tout le monde d'accord. D'ailleurs le FMI en possède la troisième réserve mondiale, derrière les Etats-Unis et l'Allemagne avec 2846 tonnes. Mais ceci est une autre histoire.
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Philippe Herlin Chercheur en finance / Membre de l'équipe éditoriale de Goldbroker.com
Chercheur en finance et docteur en économie du Conservatoire National des Arts et Métiers à Paris. Adepte des penseurs du risque extrême comme Benoît Mandelbrot et Nassim Taleb, ainsi que de l’école autrichienne, il apporte son regard sur la crise actuelle, celle de la zone euro, des dettes publiques, du système bancaire. Auteur d’un livre de référence sur l’or (L’or un placement d’avenir, Eyrolles), il souhaite lui voir jouer un rôle croissant dans nos économies, jusqu’à sa remonétisation pleine et entière.