Transcription :

Dan Popescu : Bonjour, ici Dan Popescu pour GoldBroker.com. J’ai l’honneur et le plaisir aujourd’hui d’interviewer Nomi Prins. Je pense que la meilleure présentation que je puisse faire est extraite de la newsletter de Jim Rickards, Strategic Intelligence, pour laquelle elle écrit. Nomi est une journaliste d’enquête, auteur à succès, banquière aguerrie et intellectuelle de renom. J’aime bien la présentation de cette excellente newsletter … et je crois que vous allez en devenir une chroniqueuse régulière ?

Nomi Prins : Oui, je vais écrire une chronique mensuelle pour la newsletter de Jim, et je suis très excitée. J’ai eu d’excellentes discussions avec lui, et cela fait longtemps que j’apprécie son travail que je suis fière de faire dorénavant partie de Strategic Intelligence.

 

Dan Popescu : Votre dernier livre, All the Presidents’ Bankers : The Hidden Alliances that Drive American Power, est excellent. Il est bien écrit, il y a une recherche approfondie… je recommande à tout le monde de le lire, car c’est un livre d’actualité, qui colle avec les évènements récents. Et votre chronique, dans Strategic Intelligence, évoque un de ces événements, au Brésil… mais je crois qu’il y a quelques semaines, vous avez aussi parlé du Mexique…

Nomi Prins : Oui, effectivement.

 

Dan Popescu : Alors, quel est votre point de vue sur la situation ? Nous voyons une correction de 20%... certains disent qu’il ne s’agit que d’une correction… est-ce un marché baissier ? Vous aviez dit que cela n’arriverait pas en 2015, mais plutôt cette année. Sommes-nous au début de ce marché baissier ?

Nomi Prins : Oui… Une des raisons pour lesquelles je me suis penché sur l’interdépendance internationale des pays est qu’un marché baissier – dans lequel, je crois, nous sommes maintenant – est quelque chose qui a un impact mondial. Nous ne sommes plus dans un monde où un marché, une économie, peut décliner pendant que d’autres peuvent s’en sortir indemnes. Ce qui est arrivé, jusqu’à maintenant, est que les banques centrales, les banques centrales majeures, comme la Réserve fédérale, la BCE, la Banque du Japon et la Banque populaire de Chine, ont, jusqu’à un certain point, coordonné leurs actions pour réduire le coût de l’argent, améliorer la liquidité dans le système, ce qui a eu pour effet de donner un souffle aux marchés d’actions, de créer plus de dette dans le marché des obligations, qu’il s’agisse d’obligations commerciales ou souveraines… et le ratio dette publique/PIB a augmenté partout dans le monde. Et cela est survenu de manière artificielle; cela n’est pas arrivé à la suite de croissance productive dans plusieurs pays, mais à cause de toutes ces injections monétaires et autres Quantitative Easing (QE), des taux à zéro, de toutes ces guerres de devises, et toutes ces choses sont interconnectées… L’an dernier, j’ai dit qu’il n’y aurait pas de chute sérieuse, que nous étions en transition vers une destruction et que, donc, il y avait beaucoup de volatilité – et nous voyons cette volatilité augmenter – parce que les instruments dont se servent les banques centrales – et qu’elles continuent, à ce jour, d’utiliser – atteignent leurs limites… non pas dans leur soutient des marchés d’actions au quotidien, mais dans leur capacité à avoir un effet prolongé, sur une base à long terme. C’est pourquoi il y a cette peur que nous glissions dans un marché baissier mondial, car ils continuent d’essayer… la Banque du Japon subit des pressions pour "faire plus", pour injecter plus de liquidité artificielle dans le système, la Banque populaire de Chine cherche à trouver une méthode pour le faire, la BCE aussi… cela continue, mais cela arrive à sa fin. Et c’est pourquoi les marchés sont à la baisse.

 

Dan Popescu : Les banques centrales sont-elles en mode panique ? Car j’entends des déclarations, comme celles de Mario Draghi, de Janet Yellen… et il me semble que tout ce qu’ils ont essayé – depuis Bernanke – n’a servi qu’à garder les marchés boursiers en vie; ils n’ont pas réussi à les faire repartir, les faire bouger… Il y a une sorte de sentiment aux États-Unis, que tout va bien, contrairement au reste du monde… mais ce sentiment s’effrite. Sont-ils dorénavant en mode panique ?

Nomi Prins : Le fait que tous ces gens se rencontrent, à Davos et ailleurs, et qu’ils essaient de comprendre ce qu’il se passe, démontre qu’il y a un élément de panique, de désespoir, parce que lorsque vous avez une situation où les marchés sont en baisse de 10-12% ou plus, selon le marché où vous êtes, lors des deux dernières semaines, ils savent que leurs actions n’ont pas produit d’effet durable à long terme. Leurs actions n’ont pas produit d’effet durable, ni créé de croissance fondamentale dans l’économie mondiale… au contraire, le chômage augmente dans plusieurs pays… j’ai mentionné le Brésil dans ma chronique pour Strategic Intelligence, le Mexique etc… Cela va se propager à travers le monde car les compagnies – et les compagnies américaines le font également – réduisent leur personnel pour faire face à ce qui se profile à l’horizon. Les banquiers centraux ont joui du bénéfice de pouvoir créer de la monnaie fictive – j’appelle cela "monnaie fictive" dans un nouveau livre sur lequel je travaille – afin de créer l’illusion de santé. Et cette illusion de santé a fait grimper certains marchés, comme les marchés d’actions, et le fait qu’ils se détériorent si rapidement signale que leurs efforts ne suffiront pas à maintenir les mêmes résultats… et c’est pourquoi ils ont peur. On a vu à quel point la Réserve fédérale avait peur de hausser les taux, l’an passé, et nous n’avons eu qu’un tout petit 0,25%. Cela n’est pas signe d’une politique de resserrement : ils ont une peur noire du resserrement. Depuis, la Bourse a énormément baissé, et la Réserve fédérale fait des réunions avec les autres banques centrales et leur demande de porter une partie du fardeau – parce nous sommes interconnectés sur les marchés mondiaux – et leur demande d’agir… Nous avons donc Mario Draghi qui dit que la BCE doit en faire plus avec l’assouplissement monétaire… la Banque du Japon est sous pression pour en faire plus et ainsi de suite… parce qu’ils essaient de se coordonner pour garder les choses en vie, mais cela ne fonctionne pas vraiment. Leurs actions n’ont pas d’effet durable.

 

Dan Popescu : Même en 1929-1933, cela a eu des effets. Mon grand-père en a payé le fort prix en perdant de l’argent, et j’ai en tête ce que me disait mon père, qui, jusque dans les années 1980-1990, ne voulait pas entendre parler de fiducie, obligation ou action… je ne pouvais le convaincre d’investir dans quoi que ce soit. Pourrions-nous voir cela aux États-Unis ? Parce qu’il semble y avoir beaucoup de confiance dans le marché… tous les fonds de retraite (401K) sont investis principalement dans les actions et les obligations. Pourrions-nous assister à une panique également aux États-Unis, ou bien s’en sortiront-ils ?

Nomi Prins : On peut certainement constater des fuites de capitaux des gros fonds, comme les fonds de retraite, au cours de cette baisse du marché. On l’a vu avec cette récente baisse de 500 points, suivie d’une remontée de 250 points…. Ce sont de très mouvements importants. De tels mouvements arrivent généralement à cause de la peur. Et, jusqu’à aujourd’hui, il existait une sorte de « confiance », si je peux dire, en l’aptitude de la Réserve fédérale et des autres banques centrales à garder bas le prix de l’argent et à faire grimper les marchés boursiers. Cela a effectivement fait grimper les marchés boursiers, car c’est le seul jeu auquel ils peuvent jouer. Si les taux d’intérêt avoisinent zéro, vous ne pouvez pas faire d’argent avec un compte d’épargne, les fonds de retraite doivent trouver comment effectuer les paiements des retraités qui en ont besoin… et, s’ils ne peuvent faire croître le fonds, s’ils ne peuvent obtenir un rendement, même avec le bas taux d’inflation actuel, ils doivent investir dans des actifs plus risqués, ils doivent investir sur les marchés afin d’obtenir des rendements… et cela est devenu comme une prophétie auto-réalisatrice, et les actions ont grimpé. Si vous enlevez cette façade, cette aide de la Réserve fédérale et d’autres, grâce à laquelle les actions ont grimpé, vous avez la peur et la panique… car les actions n’ont pas grimpé grâce à la production réelle, la croissance réelle dans les infrastructures, ou la recherche et développement. La différence avec la Grande dépression est qu’aujourd’hui tout est plus gros. Les marchés sont tellement plus grands, tellement plus interdépendants… et il est tellement plus facile, plus rapide, de prendre une position et d’en sortir qu’à cette époque, que, lorsque les choses se mettent à dégringoler, elles peuvent le faire plus rapidement.

 

Dan Popescu : J’ai vu votre interview avec Bernie Sanders, que j’ai trouvée très bien. J’ai été très surpris qu’il interview une journaliste… c’était intéressant ! Hier, j’ai lu – et ceci est en rapport avec votre livre – que Jamie Dimon, de JP Morgan, vient d’augmenter son salaire de 35%… et cela m’a fait penser… je crois que c’est Elizabeth Warren, une sénatrice américaine, qui lui a fait remarqué, et il aurait répondu, d’une façon arrogante, "comment définit-on la richesse ? Passons à autre chose…". Il semble que Wall Street ne comprend toujours pas l’ampleur de cette crise… Comment voyez-vous cela, car vous parlez beaucoup des banquiers, à travers l’histoire des banques centrales ?

Nomi Prins : Cette histoire est très importante pour comprendre à quel point les liens entre le gouvernement et ceux qui sont à la tête des plus grandes banques et de la Réserve fédérale sont durables et profonds. Dans certains cas, c’est depuis qu’elles existent, depuis plus d’un siècle, comme avec JP Morgan Chase, maintenant dirigée par Jamie Dimon. Mais la Morgan Bank, qui était dirigée par J.P. Morgan, et qui fait maintenant partie de JP Morgan Chase, était un acteur important et avait d’excellentes relations avec les présidents des États-Unis, à travers les Guerres mondiales, pour le financement, le développement des infrastructures mondiales, et ainsi de suite. Alors, on parle de relations à long terme. Lorsqu’on parle de « Too Big to Fail », ce n’est pas qu’un concept qui concerne une institution ou une autre, mais il s’agit plutôt de ne pas briser ces relations complexes qui sont au cœur de la politique des États-Unis, des points de vue financier et politique. Jamie Dimon ne constitue qu’un exemple, à la tête de la plus grande banque des États-Unis, JP Morgan Chase, de quelqu’un qui, non seulement, a réussi, mais qui obtient cette hausse de salaire à un moment où sa banque continue d’être touchée par des règlements de litiges… elle a dû payer des amendes sur les marchés des changes… d’autres pays enquêtent aussi sur de possibles fraudes sur le marché des changes… et, tout de même, ils continuent d’opérer en toute impunité.

 

Dan Popescu : J’aimerais parler de l’or, car c’est ma spécialité… Vous avez souvent parlé de restrictions ou d’interdiction du cash, et j’ai été surpris, il y a deux ou trois mois, par un rapport de Thomson Reuters, faisant état de la quantité de pièces d’or et d’argent achetées aux États-Unis. Je n’étais pas surpris pour l’Asie, l’Australie et l’Allemagne, mais voir une telle augmentation aux États-Unis… et ce sont clairement des particuliers qui achètent ces pièces, n’est-ce pas ? Lors d’une récente interview, vous avez évoqué les restrictions sur l’argent liquide… envisagez-vous ce genre de scénario ? L’économiste Rogoff parle d’interdiction totale du cash...

Nomi Prins : Si les banques pouvaient interdire le cash, cela leur donnerait davantage de contrôle sur leurs propres liquidités, car vous n’auriez pas, par exemple, une situation où une banque serait en déclin, ou lors d’une crise financière comme nous avons eue à l’automne 2008, quand des banques ont fermé la porte à leurs clients… et c’est là que vous commencez à voir le cash détenu en otage… Et les économistes de ce type sont financés ou viennent tous de ces grandes banques, et ils cherchent des moyens d’améliorer les liquidités des banques en des temps de crises financières. Et la banque centrale des États-Unis, la Réserve fédérale, fut créée à cause d’une panique financière en 1907, par un groupe de banquiers et une certaine élite de Washington, et elle est toujours là aujourd’hui, en tant que « banque des banques », pour leur procurer des capitaux à moindre frais lorsqu’elles en ont besoin, généralement en temps de crises financières. Si une banque, par exemple, dit que le cash que l’on peut retirer des distributeurs automatiques (ATM) se limite à 500 $ par jour, rien ne les empêche de décréter que ce sera désormais 400 $, 300 $ ou 200 $, quand et si elles en ont besoin. Et c’est ce que je veux dire quand je parle de restrictions sur le cash qui leur donnent plus de contrôle… et ces institutions peuvent le faire très facilement, surtout s’il y a une crise à l’horizon; rien n’indique qu’elles ne le feront pas. Aux États-Unis, une des raisons pour lesquelles les gens se tournent vers l’or et en achètent est que, historiquement, l’or a toujours préservé la richesse. Ce n’est pas une devise, nous n’avons plus d’étalon-or depuis 1971, mais l’or conserve un aspect de préservation de richesse et, par rapport aux autres devises, sauf le dollar US, il a plutôt bien performé l’an dernier. Par rapport à l’euro, il a décliné un tout petit peu, mais, généralement, ce n’est qu’en relation avec le dollar US que l’or est en baisse de 10%. L’or ne s’est pas aussi bien comporté que prévu alors que la volatilité augmentait sur les marchés et que des problèmes potentiels de cash étaient annoncées perpétuellement à la population… et il y a eu des réunions à ce sujet. Alors, même si cela n’est pas ancré, cette peur est dans l’air. C’est pour cela que les achats d’or sont en hausse… et aussi longtemps que le dollar demeurera fort, cela continuera d’avoir un impact négatif sur l’or, en dollars – c’est une des raisons pour lesquelles l’or n’a pas grimpé comme il aurait dû le faire vis-à-vis du dollar US – parce que le dollar US est toujours fort – non pas parce que nous avons une bonne économie, non parce que la banque centrale a une bonne politique monétaire, menée de façon logique… c’est purement artificiel. Donc, en comparaison avec le reste du monde, les États-Unis paraissent bien, et le dollar US est toujours la devise de réserve internationale, c’est pourquoi il y a une demande pour le dollar, et cette demande n’existerait pas si l’on vivait dans un monde réaliste. Et cela nuit à l’or, en termes de dollar, mais sur le très long terme, si une fracture devait arriver avec le dollar, nous pourrions voir l’or grimper, même en dollar.

 

Dan Popescu : J’ai lu, ce matin et ces derniers jours, avec la crise… les citoyens, en Russie, achètent des dollars… Mais, comment la banque centrale compense-t-elle… en Russie, il est très difficile d’acheter de l’or, et les gens iront vers l’euro ou le dollar pour des liquidités. Est-ce que les banques centrales, dans cette crise, pour obtenir des liquidités, pourraient vendre des bons du Trésor… je pense à l’Arabie saoudite et aux pays producteurs de pétrole… pour supporter leurs devises ? Il y a le risque, actuellement, de désarrimer le riyal du dollar, en Arabie saoudite, ou la devise aux Émirats Arabes Unis ou à Hong Kong… cela pourrait-il compenser… ou voyez-vous le dollar rester fort ?

Nomi Prins : Je pense que le problème avec les banques centrales qui vendraient en masse des bons du Trésor en panique est qu’elles perdraient de l’argent… c’est ce qui arrive en mode panique : cela arrive avec les actions, cela arrive avec les banques centrales qui détiennent des titres des gouvernements; si vous commencez à vendre, la valeur décline, ce qui fait diminuer la valeur des portefeuilles qui les détiennent… c’est une des raisons qui font que le dollar est toujours fort, que les bons du Trésor sont si forts, malgré une telle augmentation du ratio dette/PIB ces sept dernières années, parce les banques centrales, n’ont pas cessé leurs achats de bons du Trésor, même si elles ont un peu ralenti. La raison est qu’elles font partie du portefeuille mondial de bons du Trésor et qu’elles en souffriraient. Cela pourrait arriver si elles avaient vraiment besoin de cash, de lever des fonds, mais il s’agit de la dernière chose qu’elles utiliseraient en tant qu’outil majeur de vente, à moins qu’elles n’en soient obligées pour éviter un impact négatif pour elles-mêmes, bien avant d’envisager un impact négatif pour les États-Unis, par exemple.

 

Dan Popescu : J’aimerais vous parler plus longtemps, mais vous êtes une personne occupée et j’ai aussi un temps limité. J’aimerais vous remercier au nom de GoldBroker.com, et j’encourage les gens à s’inscrire à la newsletter de Jim Rickards, Strategic Intelligence, à laquelle vous participez. Et vous êtes en train d’écrire un livre, en ce moment ?

Nomi Prins : Oui, je fais actuellement des recherches pour un nouveau livre sur tout ce dont nous venons de parler… l’artificialité et l’interdépendance, ce nouveau paradigme dans lequel nous sommes, financièrement. Les « artisans » de la monnaie… Alors je vais passer l’année à faire des recherches, et c’est très excitant. Cela devrait être un bon livre, je l’espère !

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