La question pourrait paraître saugrenue, mais pourtant ce mouvement est très concrètement à l’œuvre et il gagne en ampleur : les banques centrales mettent progressivement la main sur des actifs privés, avec une puissance de feu qu’elles seules détiennent. Les grands médias ne l’évoquent pas, la presse économique à peine; il s’agit pourtant d’une évolution majeure. Les politiques monétaires "classiques" (Quantitative easing, taux zéro) ne donnant pas les résultats attendus, loin de se remettre en cause, les banques centrales persistent et étendent leur emprise sur l’économie.

La Banque du Japon (BoJ) deviendra, d’ici à la fin 2017, le premier actionnaire des principales sociétés nippones cotées en Bourse, selon Bloomberg. Comment faut-il appeler cela sinon une nationalisation rampante ? La BoJ achète massivement des actions, à travers des ETF, et elle va doubler ce montant en passant de 28 à 56 milliards de dollars par an. Son gouverneur, Haruhiko Kuroda, a fait valoir que ces achats d’actions contribueront à stimuler l'activité économique et l'inflation. On ne note pourtant aucun progrès sur ces deux indicateurs depuis que l’institution intervient sur la Bourse de Tokyo, et ils constituaient déjà les objectifs annoncés pour les politiques de taux zéro et de rachat d’obligations de l’État… Bref, ça ne marche pas, continuons ! Les effets pervers se révèlent pourtant inquiétants : gonflement artificiel du cours des actions, diminution du "flottant" (les actions qui s’échangent en permanence par opposition à celles détenues par des investisseurs sur le long terme) et, donc, hausse de la volatilité.

L’économie devient ainsi de plus en plus contrôlée par des institutions publiques : "La Banque du Japon va devenir le premier acheteur et le premier détenteur d'actions au Japon. Le marché devient, et c'est regrettable, administré", soulignait le 18 août Romain Boscher, directeur des gestions chez Amundi sur BFM Business.

La Banque centrale européenne (BCE) s’inscrit dans la même logique, avec une nuance, elle n’acquiert pas les actions des grandes entreprises mais leurs obligations. En plus de ses achats de dettes publiques des pays de la zone euro (75 milliards d’euros par mois), la BCE rafle pour 5 milliards d’euros par mois de dettes privées de grands groupes européens. L’objectif consiste à abaisser le coût de financement des entreprises (pour qu’elles investissent plus et relancent la croissance). Cependant, les grandes entreprises n’ont déjà aucun mal à se financer; le problème concerne plutôt les PME. L’action de la BCE sera donc inefficace mais, comme à la BoJ, si ça ne marche pas, continuons !

La planche à billets et la manipulation du taux d’intérêt déstructurent les marchés, l’ensemble des prix sont plus ou moins faussés, de multiples bulles apparaissent, mais les banques centrales veulent aller plus loin et influer directement sur les grandes entreprises. Avec les mêmes conséquences ? En achetant leurs actions et leurs obligations, les banques centrales les déconnectent du marché, et celles qui sont mal dirigées verront de toute façon le cours de leur action progresser et leurs obligations souscrites. Le rôle discriminant du marché s’estompe, c’est toute l’efficacité de l’économie qui en pâtit, et au final la croissance. Derrière des intentions vertueuses, les politiques intrusives des banques centrales détruisent l’économie en profondeur.

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