Le risque de crise financière majeure en cas de remontée des taux d’intérêt est rarement évoqué. Quasiment jamais dans les circuits officiels et les médias mainstream. Il faut écouter des économistes "en marge", non rattachés à des banques ou à des universités, comme Egon von Greyerz dans ces colonnes, ou Olivier Delamarche, Bill Bonner, Gerald Celente, etc. Au niveau institutionnel, par contre, il ne faudrait pas s’inquiéter : Je ne vois pas de risque systémique", affirme sans rire Mario Draghi, le président de la BCE, le 7 septembre dernier. Alors, a-t-on affaire à une lubie d’experts en mal de médiatisation ?

Pas du tout. Une magistrale confirmation vient d’être apportée à ces craintes, aux effets délétères des taux bas, et elle provient de ce que l’on peut trouver de plus officiel, de plus institutionnel, de plus informé aussi : la Banque des règlements internationaux (BRI). Surnommée "la banque centrale des banques centrales", la BRI est l’instance de concertation des banques centrales et elle pilote les accords de solvabilité des banques dans le monde, connus sous le nom de Bâle 1, 2 et 3, du nom de la ville où elle a son siège.

À l’occasion de la publication de son dernier rapport trimestriel, Claudio Borio, le chef du Département monétaire et économique de la BRI, n’y va pas par quatre chemins :

- Le monde ne s’est pas guéri de la dette : après la crise de 2008, "les niveaux de la dette mondiale en proportion du PIB ont continué d'augmenter. Le désendettement n'a pas vraiment eu lieu. Là où les niveaux de dette privée ont, dans une certaine mesure au moins, diminué, la dette publique a pris le relais."

- Les taux bas provoquent des bulles : "Tous ces éléments soulignent à quel point les prix des actifs semblent dépendre de l’extrême faiblesse que connaissent les rendements obligataires depuis très longtemps." […] "les cours des actions sont tendus. Les valorisations ne paraissent conformes aux références historiques qu’une fois pris en compte le niveau des rendements obligataires."

- Le nombre d’entreprises zombies (qui survivent en s’endettant, profitant ainsi des taux zéro) ne cesse d’augmenter : "L'augmentation du pourcentage d’entreprises dont les bénéfices ne peuvent couvrir le service de la dette – les "entreprises zombies" - n’est pas de bon augure." (On ne pensait pas que le terme cru "d’entreprise-zombie", largement repris par les auteurs cités plus haut, figure un jour dans un rapport officiel, c’est désormais le cas !)

- Les banques centrales sont coincées : "Il existe ici une forme de circularité risquant d’aboutir à un piège de la dette : la baisse prolongée des taux d’intérêt à des niveaux inhabituellement faibles, indépendamment du dynamisme de l’économie sous-jacente, crée les conditions compliquant le retour desdits taux à des niveaux plus normaux."

- Et il faut s’attendre à des crises bancaires : "Les indicateurs avancés de difficultés potentielles dans les systèmes bancaires signalent l’existence de risques pour les années à venir dans un certain nombre d'économies avancées ou émergentes."

On remercie la BRI pour sa franchise. Les taux bas prolongés constituent une erreur, ils provoquent des bulles sur les actifs, ils amèneront une nouvelle crise avec des faillites bancaires. Chacun est prévenu.

La BRI pointe aussi le risque du retour de l’inflation, qui demeure certes basse pour le moment, mais cela pourrait ne pas durer : "Dans ce contexte, il est d'autant plus important de comprendre "l’inflation manquante", car l’inflation guide l'action des banques centrales. Cela rappelle En attendant Godot. Pourquoi l’inflation reste-t-elle résolument si faible, alors que les économies approchent ou dépassent les estimations de plein emploi, et que les banques centrales déploient des efforts sans précédent pour la soutenir ? Cette question à 1.000 milliards de dollars déterminera la trajectoire de l’économie mondiale dans les prochaines années ainsi que, selon toute probabilité, l'avenir des cadres actuels de politique publique. Il est préoccupant que personne n’en connaisse véritablement la réponse."

À force de rechercher l’inflation, les banques centrales risquent de faire sortir le monstre de sa boîte… Oui décidément, merci à la BRI de confirmer les analyses d’un certain nombre d’économistes "en marge", mais peut-être plus pour très longtemps.

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