Tandis que les médias se concentrent sur les extrémistes de l’État islamique, une menace plane : votre épargne de toute une vie pourrait être balayée par un effondrement massif des produits dérivés. Les renflouements internes, ou bail-in, ont débuté en Europe, et l’infrastructure nécessaire est déjà en place aux États-Unis. La pauvreté peut aussi tuer.

 

À la fin novembre, un retraité italien s’est pendu après que la totalité de son épargne, 100 000 euros, fut confisquée dans un plan de « sauvetage » d’une banque. Il laissa une lettre blâmant la banque, où il fut client durant 50 ans et avait investi dans les obligations émises par cette même banque. Mais il aurait tout aussi bien pu blâmer l’Union européenne et le Conseil de stabilité financière du G20, qui ont imposé un régime de « résolution ordonnée » qui garde les banques insolvables à flot en confisquant l'épargne des investisseurs et des déposants. Près de 130 000 actionnaires et détenteurs d’obligations ont subi des pertes dans ce « sauvetage ».

La banque du retraité en question est une des quatre petites banques régionales qui ont été mises sous tutelle lors des deux dernières années. Le plan de sauvetage de 3,6 milliards euros (3,3 milliards $) du gouvernement italien utilise un fonds de résolution nationale récemment formé, fondé par les banques saines du pays. Mais avant que l’on puisse se servir de ce fonds, des pertes doivent être imposées aux investisseurs et, à partir de janvier, les règles de l’Union européenne exigeront que des pertes soient aussi imposées aux déposants. Selon un article de BBC.com du 10 décembre :

« Le sauvetage constituait un ‘bail-in’, dans le sens où les détenteurs d’obligations ont subi des pertes, au contraire des tristement célèbres renflouements durant la crise financière de 2008, qui ont coûté aux contribuables de l’Union européenne des dizaines de milliards d’euros.

Les correspondants affirment que le Premier ministre italien Renzi a agi rapidement, parce qu’en janvier, l’Union européenne resserrera les règles sur les sauvetages bancaires – ils imposeront des pertes aux déposants ayant plus de 100 000 euros, ainsi qu’aux actionnaires et détenteurs d’obligations.

… laisser ces quatre banques couler sous ces nouvelles règles de l’UE, l’an prochain, aurait signifié le sacrifice de l’argent d’un million d’épargnants et de près de 6 000 emplois. »

Voilà ce qui est prédit pour 2016 : d’énormes sacrifices d’épargnes et d’emplois pour soutenir un système bancaire global « mathématiquement condamné ».

Les bail-in sous Dodd-Frank

Tout cela se passe dans l’Union européenne : devrait-on s’inquiéter pour les États-Unis ?

Selon l’ancien manager de hedge fund, Shah Gilani, auteur pour Money Morning, on le devrait. Dans un article du 30 novembre, intitulé « Pourquoi je ferme mes comptes bancaires pendant qu'il est encore temps », il écrit :

« Il est tout à fait possible que, lors de la prochaine crise bancaire, les déposants dans les grosses banques « too big to fail » (TBTF) voient leur argent confisqué et changé en actions…

Si votre TBTF risque la faillite parce qu’elle ne peut pas payer ses positions prises sur les produits dérivés et que le gouvernement refuse de leur venir en aide, alors, sous un mandat intitulé Adequacy of Loss-Absorbing Capacity of Global Systemically Important Banks in Resolution, approuvé le 16 novembre 2014 par le Conseil de stabilité financière du G20, ils peuvent utiliser votre argent déposé et le transformer en actions de la banque pour essayer de garder votre TBTF à flot."

Une fois votre argent déposé à la banque, il devient légalement la propriété de la banque. Gilani explique :

« Votre cash déposé constitue un titre de créance non garanti de votre banque. Elle vous doit cet argent.

Si vous faites affaire avec une des plus grandes banques du pays qui, ensemble, ont des milliers de milliards $ d'exposition sur les produits dérivés « hors bilan » (ce qui signifie que ces dettes ne sont pas enregistrées sur les bilans selon les pratiques comptables généralement acceptées), vous constaterez que ces paris possèdent une place légale supérieure à celle de votre épargne et qu’ils devront être repayés avant que vous ne puissiez récupérer votre épargne."

Les grandes banques ont réussi à insérer cette clause dans la loi Dodd-Frank de 2010, supposée mettre fin aux comportements bancaires dangereux. »

Les banques ont inséré cette clause et les législateurs l’ont signée, sans nécessairement l’avoir comprise ni même l’avoir lue. Avec plus de 2 300 pages, la loi Dodd-Frank est actuellement la loi la plus longue et la plus compliquée jamais promulguée par la législature américaine.

Soutenir les produits dérivés

La loi Dodd-Frank dit, dans son préambule, qu’elle « protégera les contribuables américains en mettant fin aux bail-out (sauvetage des banques par les contribuables) ». Mais elle le fait sous le Titre II, en imposant les pertes des compagnies financières insolvables à leurs actionnaires ordinaires et privilégiés, aux détenteurs de dette, et aux autres créanciers non-garantis. Ceci inclut les déposants, la plus grande classe de créanciers non-garantis des banques.

Le Titre II vise à « assurer que les paiements aux réclamants soient au moins aussi élevés qu’ils le seraient lors d’une liquidation type faillite. » Mais voici le hic : sous les deux lois, Dodd-Frank et le Bankruptcy Act de 2005, les réclamations sur les produits dérivés ont une super-priorité sur toutes les autres réclamations, garanties ou non, assurées ou non.

Le marché de gré à gré (over-the-counter, ou OTC) des produits dérivés (le plus gros marché de produits dérivés) est composé de banques et d’autres opérateurs hautement sophistiqués, tels les hedge funds. Les produits dérivés OTC sont en fait les paris que ces acteurs financiers prennent les uns contre les autres. Les réclamations sur les produits dérivés sont considérées « garanties », parce que les parties y assignent du collatéral.

Pour une raison inexplicable, l’argent durement gagné que vous déposez dans une banque n’est pas considéré en tant que « sécurité » ou « collatéral ». Ce n’est qu’un prêt à la banque, et vous devez faire la queue avec les autres créanciers pour espérer en revoir la couleur. Les gouvernements des États et les administrations locales doivent aussi faire la queue, quoique leurs dépôts soient considérés « garantis », parce que les réclamations sur les produits dérivés ont une « super-priorité » sur eux.

Faillites à l’envers

Selon les anciennes règles de liquidation, une banque insolvable était réellement « liquidée » - ses actifs étaient vendus pour rembourser les déposants et les créanciers. Sous une « résolution ordonnée », les comptes des déposants et des créanciers sont ponctionnés pour que la banque insolvable continue d’opérer. Le but d’une « résolution ordonnée » n’est pas de satisfaire les déposants et les créanciers, mais bien de prévenir une autre « résolution désordonnée » de tout le système, comme celle qui a suivi l’effondrement de Lehman Brothers en 2008. Le fait de sortir quelques dominos du fragile édifice qu’est notre système bancaire mondial, plein à craquer de produits dérivés, pourrait faire tomber le système en entier. Les souffrances des déposants et des investisseurs représentent le prix à payer pour maintenir en vie cet édifice hautement lucratif.

Dans un article de Forbes paru en mai 2013, intitulé « Le bail-in des banques chypriotes : une autre fraude des banquiers-voyoux », Nathan Lewis explique la manigance de la manière suivante :

« À première vue, le « bail-in » ressemble au processus capitaliste normal de restructuration des responsabilités qui devrait survenir lorsqu’une banque devient insolvable…

La différence, avec le « bail-in », est que l’ordre de prévalence des créanciers est changé. Et, à la fin, il y a les copains (les autres banques et le gouvernement) et les non-copains. Les copains obtiennent 100% ou plus, et les non-copains, incluant les déposants dans des comptes sans intérêts, qui devraient détenir une super-priorité, reçoivent plutôt un coup de pied dans le ventre…

En principe, les déposants sont les premiers créanciers d’une banque. Cependant, cela a changé avec le Bankruptcy Act de 2005, qui fit changea le statu des dérivés en créances sénior, donc prioritaires. Considérant l'exposition extrême sur les dérivés qu’ont plusieurs grandes banques, ainsi que l’opportunité de bourrer une banque de dérivés au dernier moment, les autres créanciers pourraient très facilement se rendre compte qu’il ne reste plus rien pour eux. »

En septembre 2014, les produits dérivés aux États-Unis avaient une valeur notionnelle de près de 280 000 milliards $. Une étude de Citibank intégrant le coût de Dodd-Frank pour les contribuables, insérée dans la loi « omnibus » de dépenses en décembre dernier, démontre que ce changement de règle a permis aux banques de garder 10 000 milliards $ de swaps dans leurs bilans. Cela représente de l’argent que les contribuables pourraient assumer en cas d’un autre bail-out (sauvetage des banques par les contribuables), et, vu que Dodd-Frank remplace les bail-out par des bail-in, les créanciers et déposants aussi. Citibank est particulièrement vulnérable aux swaps sur le prix du pétrole. Le Brent est passé d’un haut de 114 $ du baril, en juin 2014, à un bas de 36 $, en décembre 2015.

Qu’en est-il de l’assurance fournie par la FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation) ? Elle couvre les dépôts jusqu’à hauteur de 250 000 $, mais le fonds de la FDIC ne possède que 67,6 milliards $, en date du 30 juin 2015, pour assurer environ 6 350 milliards $ de dépôts. La FDIC dispose d’une ligne de crédit avec le Trésor, mais elle n’est que de 500 milliards $... et qui rembourserait un prêt si énorme ? Le fonds de la FDIC, également, doit faire la queue devant le trou noir sans fond des produits dérivés. Comme Yves Smith l’observait en mars 2013 :

« Aux États-Unis, les déposants sont dans une situation bien pire qu’à Chypre, tout du moins ceux qui font affaire avec les grandes banques qui jouent au casino des produits dérivés. Les organismes de réglementation regardent ailleurs, alors que les banques se servent de l'argent des déposants pour financer leur exposition aux produits dérivés… les dépôts pourraient maintenant être balayés par une grosse perte sur les produits dérivés. »

Même lors des pires faillites de banques lors de la Grande dépression, note Nathan Lewis, les créanciers ont récupéré presque tout leur argent. Il conclut :

« Quand des déposants, qui devraient avoir une super-priorité, subissent de lourdes pertes de 50% ou plus, après un bail-in ou une restructuration, vous savez qu’un crime a été commis. »

Sortir du système tant qu’il en est encore temps

Comment pouvons-nous éviter ce vol criminel et garder notre argent en sécurité ? Il est peut-être déjà trop tard pour retirer vos épargnes de la banque et les mettre sous le matelas, comme l’a constaté Shah Gilani, lorsqu’il a tenté de retirer quelques milliers de dollars de sa banque. Les gros retraits sont maintenant criminellement suspects.

Vous pourriez transférer votre argent dans une des credit unions (coopératives de crédit) qui ont leur propre assurance pour les dépôts, mais les credit unions et leurs plans d’assurance font aussi l’objet d’attaques. C’est ce qu’écrit Frances Coppola dans un article du 18 décembre intitulé "Co-operative Banking Under Attack in Europe", en parlant d’une credit union espagnole insolvable qui fut l’objet d’un bail-in en juillet 2015. Lorsque les membres-investisseurs furent remboursés par le groupe privé d’assurance de la credit union, il y a eu des plaintes selon lesquelles le sauvetage « minait le principe de bail-in par les créanciers » - et cela même si le fonds d’assurance était financé en privé. Les critiques arguaient que « cela ressemblait à une façon détournée de faire ce qui était planifié au début, c’est-à-dire d’éviter de faire subir les pertes aux créanciers privés. »

Pour faire court, le but du schéma de bail-in est de faire subir les pertes aux créanciers privés. Les alternatives leur permettant d’éviter ces pertes pourraient bientôt être bloquées.

Nous avons besoin de forcer nos législateurs à changer les règles avant qu’il ne soit trop tard. La loi Dodd-Frank et le Bankruptcy Reform Act ont tous deux besoin d’un remaniement radical, et le Glass-Steagall Act (qui met un mur de feu entre les investissements risqués et les dépôts bancaires) doit être remis en place.

Pendant ce temps, les législateurs locaux feraient bien d’instituer quelques banques détenues publiquement, sur le modèle de la banque du Dakota du Nord, détenue par l’état, des banques qui ne jouent pas avec les produits dérivés et qui sont sécuritaires pour y déposer nos fonds, publics ou privés.


Ellen Brown est une avocate, qui a fondé le Public Banking Institute, et elle est l’auteure de douze livres, incluant le best-seller Web of Debt. Son dernier livre, The Public Bank Solution, explore des modèles bancaires qui ont connu du succès, historiquement et mondialement. Ses plus de 300 articles de blogue se trouvent sur EllenBrown.com. Vous pouvez écouter « It’s Our Money with Ellen Brown » sur PRN.FM.

Source originale: WEB OF DEBT BLOG

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