Lorsqu’un Etat surendetté est incapable de réduire son déficit (ou ne veut pas le faire pour continuer à financer ses clientèles électorales), il s’expose à la défiance des marchés et à la fuite des investisseurs. Pour éviter ce scénario cauchemardesque, il utilise son pouvoir souverain pour contraindre l’argent disponible à financer, malgré tout, sa dette, et à des taux bas. C’est ce que l’on appelle la "répression financière".

Elle prend plusieurs formes comme notamment infléchir les réglementations prudentielles concernant les banques (Bâle 3) et les assureurs (Solvabilité 2) afin de favoriser l’acquisition d’obligations souveraines. Ainsi une banque qui achète des titres d’État notés entre AAA et AA- n’a pas besoin de geler des liquidités en contrepartie, ces titres étant considérés comme parfaitement sûrs, alors qu’elle devra le faire pour de l’immobilier ou des actions ; la réglementation joue ainsi en faveur des premiers.

L’Etat peut aussi favoriser fiscalement l’assurance-vie (qui s’investit principalement en bons du Trésor) de façon à capter au maximum l’épargne des ménages. Dans certains pays émergents, il peut restreindre les mouvements de capitaux de façon à garder l’épargne nationale. Le resserrement des liens entre l'Etat et les banques y concourt également : après avoir sauvé de nombreuses banques lors de la crise de 2008, le gouvernement leur demande en retour de financer son déficit. Le levier le plus important étant bien sûr les politiques d’assouplissement quantitatif que les banques centrales pratiquent sous la bienveillance ou l’amicale pression des gouvernements. C’est comme si vous demandiez un crédit à votre banquier en lui pointant un pistolet sur la tempe : vous obtiendriez un taux très bas ! C’est un peu ce que font les Etats.

Ces dispositifs contraignent l’argent disponible à financer la dette publique à des taux bas et cela signifie – lorsqu’on se place du côté de l’épargnant – que placer ses économies ne rapporte plus grand-chose, en tout cas moins qu’espéré. Oui mais combien exactement ? Pour la première fois à notre connaissance, une grande institution financière se penche sur la question, il s’agit du réassureur Swiss Re. Les chiffres sont sans appel puisque, selon cette société, les épargnants américains ont perdu 470 milliards de dollars en revenus d'intérêts nets depuis la crise de 2008 ! Pour les compagnies d’assurance américaines et européennes, la perte se monte à 400 milliards de dollars, ce qui "correspond à une 'taxe' annuelle moyenne d'environ 0,8% du total des actifs financiers". Voici autant d’argent perdu par les épargnants et les sociétés d’assurance, au profit des Etats.

L’épargne est ainsi découragée par des rendements faibles, et orientée en grande partie pour satisfaire les besoins des Etats. Il ne faut pas chercher plus loin pourquoi la croissance est nulle en Europe, au Japon et faible aux Etats-Unis : le moteur du capitalisme est cassé. Normalement, l’épargne finance l’investissement des entreprises, désormais elle est non seulement découragée mais aussi, pour une grande part, captée par la puissance publique qui, elle, ne crée aucune croissance. La "répression financière" détruit l’économie de l’intérieur.

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