Par Zerohedge.com

Il n’y a pas si longtemps, la simple mention de manipulation de l’or dans la presse « grand public » aurait été suffisante pour se faire traiter d’adepte de la théorie du complot et de cinglé ou d’arriéré. C’était une époque où l’on considérait comme impensable les manipulations du LIBOR, des échanges de devises, des marchés hypothécaires et des obligations, où l’on croyait que l’activité des High-frequency traders (HFT) « procurait de la liquidité » au marché, où l’on disait que la Bourse n’était pas manipulée par la Fed, et où les médias, toujours confus, toujours prêts à gober les concepts financiers « compliqués » concoctés par un establishment qui ne sert que ses propres intérêts, n’osaient pas questionner quoi que ce soit. Heureusement, tout cela a changé, ces dernières années, et nous sommes maintenant à un point où, dans la lignée d’une enquête « sérieuse », même si elle a été retardée de trois à cinq ans, ils ne font pas que se demander si le marché de l’or est manipulé, mais ils fournissent également des réponses.

Comme Bloomberg.

Ce sujet de la manipulation du marché de l’or à l’heure du 'fixing' matinal du marché de Londres n’est pas nouveau pour ZeroHedge. Cela fait des années que le site discute de la base historique et de la raison d’être du 'fixing' de l'or à Londres, ainsi que l'arbitrage curieux pour ceux qui pouvaient simplement jouer sur le spread AM-FM, pendant des années. C'est bien que Bloomberg ait décidé de le décoder pour tous et de faire un sommaire des techniques utilisées pour manipuler cet aspect du trading de l’or.

Selon Bloomberg :

« Chaque jour ouvrable à Londres, cinq banques se rencontrent pour établir le prix de l’or, selon un rituel qui date de 1919. Maintenant, certains négociants d'or et économistes disent que l’information glanée lors de ces rencontres pourrait fournir à certains traders un avantage déloyal lors de vente ou achat du métal précieux. Le 'London fix', le taux de référence utilisé par les minières, les bijouteries et les banques centrales pour acheter, vendre et évaluer le métal, est publié deux fois par jour, après une conférence téléphonique impliquant Barclays Plc, Deutsche Bank AG, Bank of Nova Scotia, HSBC Holding Plc et Société Générale SA.

Le 'fix' date de septembre 1919, moins d’un an après la fin de la Première Guerre mondiale, alors que cinq représentants des négociants d'or se rencontrèrent au bureau de Rothschild, sur St.Swithin’s Lane, dans le quartier financier de Londres. Il fut suspendu pendant 15 ans, en 1939. Même si Rothschild n’en fait plus partie depuis 2004 et que les discussions ont lieu au téléphone plutôt que dans une pièce boisée à la banque, le procédé demeure le même, à peu de choses près. »

Nous savons cela. Et nous savons certainement que tout procédé impliquant cinq banques, dont les représentants s’assoient (jusqu’à récemment, littéralement) et échangent de l’information en utilisant des méthodes dépassées (comme le téléphone), à une horaire établie qui implique une période de dissimulation d'informations privées, même si seulement temporaire, et qui n’implique pas de réaction instantanée du marché, peut être et sera trafiqué. "Les traders impliqués dans ce processus de détermination des prix possèdent de l’information qui, même pendant un temps très court, est supérieure à celle des autres", dixit Thorsten Polleit, économiste en chef chez Degussa Goldhande GmbH, un broker de métaux précieux basé à Francfort, et ancien économiste chez Barclays. "C’est le grand défaut de ce 'fixing' (établissement du prix) de l’or basé à Londres."

Et ce n’est pas le seul...

« Les participants à cette conférence téléphonique de Londres sont à même de voir en moins d’une minute si le prix de l’or monte ou descend, en se basant sur la quantité net de vendeurs ou d’acheteurs, selon des négociants en or, des académiciens et des investisseurs interrogés par Bloomberg News. C’est cet aspect qui pourrait permettre aux dealers et à d’autres en possession de cette information de miser sur la direction que prendra le marché avec un haut degré de certitude plusieurs minutes avant que le 'fix' ne soit rendu public, disent-ils. »

Eh oui, cette large création de momentum et cette perspective d’embrasement du marché sont connues de la plupart. Au moins par ceux qui n’ont jamais cru cette propagande, à savoir que, contrairement aux autres classes d’actifs, l’or ne peut être manipulé.

"L’information coule des cinq banques vers leurs clients avant d’atteindre l'ensemble des marchés", nous a dit au téléphone Andrew Caminschi, un conférencier à la University of Western Australia, à Perth, et co-auteur d’un article du 2 septembre au sujet des pics soudains de trading au moment du fixing de Londres, publié en ligne dans le Journal of Futures Markets. "Dans un monde où les avantages de trading se mesurent en millièmes de seconde, cela a une valeur certaine."

Il faut quand même bien faire attention à ne pas trop secouer l'arbre avant que, comme dans le cas du LIBOR, il soit bien établi que tout le monde est trempé...

« Il n’existe pas de preuves que les négociants en or aient essayé de manipuler le 'fixing' de Londres ou ont collaboré pour trafiquer le prix, comme les traders l’ont fait avec le LIBOR. Mais encore, les économistes et académiciens disent que la façon dont est établi ce prix de base est dépassé, vulnérable aux abus et sans aucune surveillance réglementaire directe. "C’est une des pires façons d’établir un prix que je n’aie jamais vues", dit Rosa Abrantes-Mertz, professeure à la New York University’s Stern School of Business, dont l’essai, Libor Manipulation?, a contribué au lancement d’une enquête. "Ce ‘fixing’ est contrôlé par une poignée de banques ayant un intérêt financier direct dans son établissement, et il n’y a pratiquement pas de surveillance; et il est établi selon des informations échangées entre eux qui ne sont pas rendues publiques." » 

À moins que nous nous trompions, il n’existait pas de preuves, non plus, de collusion visant à manipuler le LIBOR... avant qu’il n’y en ait. Et, vu que cette cabale du 'fixing' de Londres est bien plus petite que celle des banques membres du LIBOR, il est donc exponentiellement plus facile de confiner l’intention à un plus petit groupe d’agents. Mais la plupart de nous savons aussi cela.

Et nous savons aussi que, lorsqu’on leur a demandé des explications, les porte-parole de Barclays, Deutsche Bank, HSBC et Société Générale ont refusé de parler du 'fixing' de Londres ou des enquêtes probatoires en cours, tout comme Chris Hamilton, porte-parole de la FCA, et Steve Adamske du CFTC. Joe Konecny, un porte-parole de la Bank of Nova Scotia, écrit dans un e-mail que la société, basée à Toronto, « a une culture d’adhérence aux lois fortement enracinée et d’efforts constants à rechercher des façons d’améliorer nos procédés et pratiques actuelles. »

Ensuite Bloomberg entre dans les détails de la manière dont le prix de l’or est manipulé, premièrement par les banques décidant du ‘fixing’, et ensuite par leurs « amis et voisins », à mesure que l’information sur le processus d’établissement du prix se répand :

« Au début de l’appel, le président désigné – le poste change annuellement parmi les cinq banques – établit un prix proche du prix spot actuel en dollars pour une once d’or. Les banques déclarent alors combien de lingots elles désirent acheter ou vendre à ce prix, en se basant sur les ordres des clients et sur leurs compte propre.

S’il y a plus d’acheteurs que de vendeurs, le prix de départ est augmenté et le processus repart à nouveau. Les échanges se poursuivent jusqu’à ce que les quantités à vendre et à acheter soient en-deça de 50 lingots, ou environ 620 kilogrammes, les unes des autres. La procédure est effectuée deux fois par jour, à 10h30 et à 15h, à Londres. Les prix sont établis en dollars, en livres et en euros. Les choses se passent de la même façon pour l’argent, le platine et le palladium.

Les traders communiquent à leurs clients les changements dans l’offre et la demande pendant les appels et prennent de nouveaux ordres de vente ou d’achat selon les variations de prix, selon le site web London Gold Market Fixing, qui publie les résultats du ‘fix’. »

... oui, mais cette fois, la manipulation n’est plus confinée à un plan purement théorique. Des preuves importantes de fuites d'informations sur le ‘fix’ nous sont présentées sur la base de recherches académiques :

« Caminschi et Richard Heaney, un professeur de comptabilité et de finance à la University of Western Australia, ont analysé deux des produits dérivés de l’or les plus largement échangés : les futures sur le COMEX et le SPDR Gold Trust de State Street Corp., le produit adossé à l’or le plus populaire à la Bourse, entre 2007 et 2012.

À 15h01, après le début de l’appel, les transactions se sont envolées à 47,8% au-dessus de la moyenne pendant la période de vingt minutes précédant le début du ‘fix’ et sont restées à 20% au-dessus lors des six minutes suivantes, selon ce qu’ont découvert Caminschi et Heaney. En comparaison, le trading était 8,7% au-dessus de la moyenne une minute après publication du prix. Les résultats étaient similaires avec le SPDR Gold Trust. »

"Intuitivement, quand le résultat final est publié, nous nous attendons à ce que les volumes augmentent lorsque cette information atteint les marchés", ont écrit Caminschi et Heaney dans Fixing a Leaky Fixing : Short-Term Market Reactions to the London P.M. Gold Price Fixing. "Ce que nous observons dans notre analyse est un amoncellement de transactions immédiatement après le début du ‘fixing’."

Les chercheurs ont aussi remarqué combien certains mouvements dans les produits dérivés de l’or pouvaient prédire précisément le ‘fix’ final. Entre 14h59 et 15h, la direction des contrats futures correspondaient à la direction du ‘fix’ environ la moitié du temps.

À partir de 15h01, le taux de réussite est monté à 69,9% et, en cinq minutes, a grimpé jusqu’à 80%, écrivent-ils. Les jour où le prix de l’once d’or bougeait de plus de $3, les futures d’or ont prédit le résultat neuf fois sur dix. "Non seulement ces transactions prédisent de manière précise la direction du ‘fixing’, mais plus il y a de profits engrangés par une plus grande variation des prix, plus ces transactions deviennent précises", écrivent Caminschi et Heaney. "Cela suggère fortement que de l’information fuit de ce ‘fixing’ vers les marchés publics." »

Voyons... neuf fois sur dix n’indiquent aucun acte répréhensible, n’est-ce pas? Après tout, JP Morgan a perdu de l’argent, voyons... zéro jour de toute l’année 2013, et tout le monde s’en moque. Si l’on tire à pile ou face et qu’une pièce tombe 200 fois de suite sur face, et que cela est considéré comme étant normal par les régulateurs, il est compréhensible que le CFTC ne trouvera rien à redire sur un peu de manipulation de l’or ici et là. Une manipulation qui n'existe pas selon la CFTC. Mais tout le monde le savait aussi.

Cynisme mis à part, le fait d’affirmer que ce processus clairement trafiqué, voire manipulé de façon criminelle, ne l’est en fait pas (car ce n’est jamais de la manipulation tant que quelqu’un n’est pas pris la main dans le sac par des agents qui ne font pas partie du jeu) relève de la plus haute idiotie. Et c’est pourquoi nous sommes certains que c’est précisément ce qu’affirmeront les régulateurs. Beaucoup de personnes savent cela. Ils sont aussi au courant des bénéfices engrangés par les traders qui abusent du 'fixing' de Londres :

« Pour les traders de produits dérivés, les bénéfices sont clairs : un négociants en or qui achète 500 contrats futures d’or à 15h, qui sait que le ‘fix’ grimpera, pourrait engranger $200,000 pour sa société, si le prix montait de $4, le mouvement moyen de l’échantillon. Même si la valeur de 500 contrats avoisine $60 millions, les traders peuvent acheter sur marge, un procédé qui implique un emprunt et qui requiert moins de capital à placer sur la mise. Lors d'une journée typique, environ 4,500 contrats futures sont échangés entre 15h et 15h15, selon Caminschi et Heaney. »

Finalement, ce que tout le monde sait, c’est que ce 'fixing' de Londres pourrait se faire très simplement, à notre époque de technologie ultra-moderne, et ce en quelques minutes à peine.

« Abrantes-Metz dit que les imperfections du processus de ‘fixing’ de l’or s’étendent au-delà de l’accès à de l’information privilégiée par certaines sociétés et leurs clients. "Il y a une énorme incitation pour ces banques à essayer d’influencer où ce niveau est établi, selon leurs positions de trading, et à peu près personne ne regarde", dit-elle. 

Abrantes-Metz suggère que le 'fixing' de l'or soit remplacé par un niveau calculé à partir d’un instantané du marché, où $19,000 milliards en métaux précieux ont circulé l’an dernier, selon le groupe CPM, une société de recherche basée à New York. "Il n’y a aucune raison que les informations ne puissent être collectées à partir des prix spot basés sur les trading floors ou le trading électronique", dit-elle. "Il y a plus d’informations qu’il est nécessaire." »

C'est précisément pourquoi rien ne changera. Malheureusement.

Alors, est-ce que Bloomberg nous a pondu un article exhaustif dans lequel tout était déjà connu? Non; nous avons appris une chose.

« London Gold Market Fixing Ltd., une société contrôlée par les cinq banques qui administrent le ‘fix’, n’a aucun employé permanent. Un appel de Bloomberg News a été redirigé vers Douglas Beadle, 68 ans, un ancien banquier de Rothschild, qui agit en tant que consultant de la société depuis son domicile de Caterham, une petite commune à 45 minutes en train de Londres. Beadle a refusé de commenter le processus de ‘fixing’. »

On peut apprendre quelque chose de nouveau tous les jours (incidemment, c’est le même Douglas Beadle qui était consultant au LBMA jusqu’à mars 2010 et qui a été impliqué dès le départ dans le projet visant à trouver une échelle appropriée pour la pesée électronique de l’or, tel que documenté dans « Electronic Weighing of Gold – A Success Story »).
 

Source : Zerohedge

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