Mario Draghi a parlé, jeudi dernier, et tout le monde a considéré que ses annonces étaient importantes. La preuve… dans les minutes qui ont suivi, les marchés boursiers ont monté et l’euro a chuté face au dollar ! Qu’est-ce qui explique cette brusque montée en température des marchés ? Rappelons ces décisions : le taux directeur passe de 0,15% à 0,05% ; mais qui peut croire que cela change grand-chose ? Le taux de dépôt (pour les banques qui déposent leurs liquidités à la BCE) passe de -0,10% à -0,20%, le taux négatif étant sensé les décourager de le faire et les inciter à prêter cet argent aux entreprises… Là encore, personne n’imaginera que cela fasse repartir le crédit.

Vient ensuite l’annonce importante : la BCE va acheter de nouveaux actifs, et ce, dès le mois d’octobre, et pour des volumes significatifs. La Banque centrale européenne va acquérir des titres adossés à des actifs (ces actifs étant des crédits aux entreprises, des créances commerciales, des prêts immobiliers, etc.), des "ABS" (asset-backed securities) en anglais. C’est de la titrisation : la banque empaquète des crédits aux PME, et ce nouveau "paquet" devient un produit financier autonome qui génère des flux (constitués des remboursements des entreprises), puis elle le revend à la BCE et récupère ainsi des liquidités. L’équivalent pour les prêts immobiliers aux États-Unis s’appelait les subprimes, mais c’est juste un rappel pour rire. La BCE va également acheter des obligations émises par les banques (une banque peut se financer en émettant des obligations, comme une grande entreprise ou un État).

Voilà qui se révèle extrêmement intéressant pour les banques puisqu’elles vont pouvoir refourguer leurs créances de mauvaise qualité, d’une part, et, d’autre part, lever de l’argent frais, le tout par la grâce de la BCE. Et pour financer ces achats, la BCE créera bien sûr de la monnaie ex nihilo, elle fera "tourner la planche à billets", comme on dit. Après les LTRO et autres plans d’aide aux banques, la BCE continue et amplifie son Quantitative easing.

Les montants annoncés sont élevés puisque le bilan de la BCE devrait passer de 2.000 milliards d’euros actuellement à 2.700 milliards, soit 700 milliards de plus d’actifs, à la qualité moyenne ou douteuse… Ce qui signifiera, dans l’autre sens, 700 milliards d’euros d’argent frais récupérés par les banques qui pourront ensuite, non pas prêter plus aux entreprises qui ne sont pas vraiment demandeuses, compte tenu de la stagnation de l’économie, mais l’investir dans leur fructueuse branche de la "banque de marché" ; voici pourquoi les bourses ont apprécié cette annonce. Tout cela ne créera pas de croissance, mais des bulles, c’est certain.

Ce faisant, la BCE entre en conflit avec l’Allemagne, gardienne de l’orthodoxie monétaire, au moment même où le tout nouveau parti anti-euro AfD connaît ses premiers succès électoraux. Angela Merkel, qui voit son parti et ses alliés conservateurs attaqués sur ses propres terres, ne peut pas l’accepter. Il sera intéressant de suivre son bras-de-fer avec Mario Draghi.

Un autre problème doit également être évoqué, celui du profond conflit d’intérêt dans lequel se plonge la BCE. Dans le cadre de la mission de supervision bancaire qui lui a été confiée, la BCE commencera à étudier les comptes des banques européennes en novembre de cette année. Elle sera ainsi juge et partie, contrôleur des comptes, avec le pouvoir d’obliger une banque à se recapitaliser, et, dans le même temps, celle qui pourra apporter ces liquidités en rachetant ses actifs. C’est par ce processus qu’apparaissent les dérives, les bulles et les krachs, quand le pouvoir est trop concentré, les contre-pouvoirs faibles ou inexistants, quand la logique de marché est évacuée au profit d’intérêts partagés (le "crony capitalism" ou capitalisme de connivence). Mario Draghi nous emmène sur un chemin de plus en plus périlleux.

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